29 de abril de 2010

Communiqué de Jacques-Alain Miller du 29 avril 2010 au sujet de l'article de Bernard-Henri Lévy dans "Le Point" de ce jour

ECF Messager

BHL publie dans « le Point » de ce jeudi l’article suivant, sur lequel il appelle notre attention. J’imagine que plusiurs d’entre nous voudront se rendre sur le site « lepoint.fr » pour faire connaître leur sentiment au sujet de cet article, et du livre dont il s’agit. JAM

Bernard-Henri Lévy : Pour Sigmund Freud

(Le Point, Bloc-notes du 29 avril 2010)

Michel Onfray se plaint d’être critiqué sans être lu?
Eh bien, donc, je l’ai lu.
Je l’ai fait en m’efforçant, autant qu’il est possible, de laisser de côté les camaraderies anciennes, les amitiés communes ainsi que, mais cela allait de soi, le fait que nous soyons, tous deux, publiés par le même éditeur.
Et la vérité oblige à dire que je suis sorti de cette lecture plus consterné encore que ne le laissaient présager les quelques comptes rendus dont, comme tout le monde, j’avais pu avoir connaissance.
Non que je sois de ceux pour qui l’«idole» Freud doive être intouchable: de Foucault à Deleuze, Guattari et d’autres, beaucoup s’y sont frottés et, sans être d’accord avec eux, je n’ai jamais nié qu’ils aient fait avancer le débat.
Ce n’est pas davantage le ressentiment antifreudien, voire la colère, voire même la haine, qui, comme je l’ai lu ici ou là, créent, pour moi, le malaise dans ce «Crépuscule d’une idole»: on fait de grands livres avec la colère! et qu’un auteur contemporain mêle ses propres affects à ceux d’un glorieux aîné, qu’il se mesure à lui, qu’il règle ses comptes avec son œuvre dans un pamphlet qui, dans la chaleur de l’affrontement, apporte des arguments ou des éclairages nouveaux, cela est, en soi, plutôt sain – et Onfray l’a d’ailleurs fait, souvent, ailleurs, et avec un vrai talent.
Non.
Ce qui gêne dans ce «Crépuscule», c’est qu’il est, soudain, banal, réducteur, puéril, pédant, parfois à la limite du ridicule, inspiré par des hypothèses complotistes aussi abracadabrantes que périlleuses et assumant, ce qui est peut-être le plus grave, ce fameux «point de vue du valet de chambre» dont nul n’ignore, depuis Hegel, qu’il est rarement le meilleur pour juger d’un grand homme ou, mieux encore, d’une grande œuvre…
Banal: j’en prends pour seul exemple la petite série de livres (Gérard Zwang, Pierre Debray-Ritzen, René Pommier) auxquels Onfray a d’ailleurs l’honnêteté de rendre hommage, à côté d’autres, en fin de volume et qui défendaient déjà la thèse d’un Freud corrupteur des mœurs et fourrier de décadence.
Réducteur: il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter, sans rire ou sans effroi, l’interprétation quasi policière que fait Onfray du beau principe nietzschéen qu’il connaît pourtant mieux que personne et selon lequel une philosophie est toujours une biographie cryptée ou déguisée (en gros: si Freud invente le complexe d’Œdipe, c’est pour dissimuler, p. 111, ses pensées ulcérées à l’endroit de son gentil papa et pour recycler, p. 505, ses non moins vilaines pulsions en direction de sa maman).
Puéril: le regret (p. 477) de ne pas avoir trouvé, dans «les six mille pages» des œuvres complètes, cette «franche critique du capitalisme» qui eût comblé d’aise le fondateur de l’Université populaire de Caen.
Pédant: les pages (73-76) où il se demande, gravement, quelles dettes inavouables le fondateur de la psychanalyse aurait contractées, mais sans vouloir le reconnaître, auprès d’Antiphon d’Athènes, d’Artemidore, d’Empédocle ou de l’Aristophane du «Banquet» de Platon.
Ridicule: c’est la page où, après de douteuses considérations sur son probable recours à l’onanisme, puis une non moins curieuse plongée dans les registres d’hôtel, «luxueux pour la plupart» (p. 162), où le Viennois aurait abrité, pendant des années, ses amours coupables avec sa belle-sœur, Onfray, emporté par son élan de brigadier des mœurs, finit par le soupçonner d’avoir engrossé ladite belle-sœur alors parvenue à un âge où ce genre de bonheur n’arrive, sauf dans la Bible, que fort rarement.
Le complot: c’est, comme dans «Da Vinci Code» (mais la psychanalyse, selon Onfray, n’est-elle pas l’équivalent d’une religion?), l’image fantasmée de gigantesques «containers» d’archives enterrés, en particulier, dans les caves de la bibliothèque du Congrès de Washington et au seuil desquels veilleraient des milices de templiers freudiens aussi cupides, féroces, rusés, que leur maître vénéré.
L’œil du valet de chambre, enfin: c’est la méthode, toujours bizarre, qui consiste à partir des supposées petites faiblesses de l’homme (son habitude, p. 169, de choisir lui-même, allez savoir pourquoi! le nom de baptême de ses enfants «en rapport avec sa mythologie personnelle»), de ses non moins supposés travers (désir de gloire, cyclothymie, arythmies cardiaques, tabagisme, humeur vacillante, petites performances sexuelles, peur des trains – je n’invente rien, ce catalogue de «tares» se trouve aux pages 102 et 157 du livre), éventuellement de ses erreurs (telle dédicace à Mussolini, connue depuis toujours mais qu’Onfray semble découvrir et qui, tirée de son contexte, le plonge dans un état de grande frénésie) pour conclure à la non-validité de la théorie dans son ensemble: le sommet est, d’ailleurs, atteint quand, à la toute fin (p. 522), il s’appuie carrément sur le livre de Paula Fichtl, c’est-à-dire sur les souvenirs de la propre femme de chambre, pendant cinquante ans, de la famille Freud puis de Freud lui-même, pour dénoncer les accointances avec le fascisme autrichien de l’auteur de «Moïse et le monothéisme».
Tout cela est navrant.
J’ai peine, en tous les sens du terme, à retrouver dans ce tissu de platitudes, plus sottes que méchantes, l’auteur des quelques livres – entre autres, «Le ventre des philosophes» – qui m’avaient, il y a vingt ans, paru si prometteurs.
La psychanalyse, qui en a vu d’autres, s’en remettra. – Michel Onfray, j’en suis moins sûr.


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INGLÉS:

For Sigmund Freud by Bernard-Henri Lévy. The Huffington Post

Michel Onfray complains of being criticized without being read?
Well then, I read him.
I did so while forcing myself to put aside, as much as possible, old companionships, common friendships and, it goes without saying, the fact that we share the same publishing house.
And the truth compels me to admit that I was even more dismayed when I put the book down than the few accounts I was, like everyone else, familiar with would have led me to expect.
Not that I am among those for whom the « idol » Freud is untouchable; from Foucault to Deleuze, Guattari, and others, many have crossed swords with him and, while not agreeing with them, I have never denied that they have further contributed to the debate.
Nor is it the anti-Freudian resentment, even anger and hatred that I read here and there in this Crépuscule d’une idole — Twilight of an Idol — that made me feel uneasy. Great books are inspired by anger! And it is, in itself, rather healthy that a contemporary author should mix his own affects with those of a glorious forbear and pit himself against him, settling scores with the latter’s work in a tract that, in the heat of confrontation, offers new insights or arguments. And, moreover, Onfray has often done so, and with real talent.
No.
What bothers one about this Crépuscule is that it is unexpected, banal, simplistic, puerile, pedantic, sometimes borders on the ridiculous, inspired by conspiracy theories as preposterous as they are perilous and, perhaps the most alarming, written from the proverbial « valet’s point of view » which everyone since Hegel knows is rarely the best angle from which to judge a great man or, even worse, a great work.
Banal: I offer as a sole example the little list of books (Zwang, Debray-Ritzen, René Pommier) Onfray has the honesty to mention, along with others, at the end of the volume, all of which have already defended the thesis of Freud as a corrupter of morals and a harbinger of decadence.
Simplistic: It takes a strong stomach to stand, without laughing or being horrified, the quasi-interrogative method Onfray uses in interpreting and adapting the fine Nietzschean principle he, of course, knows better than anyone, according to which a philosophy is always a cryptic or disguised biography. (Roughly put, if Freud invented the Oedipus complex, it was to hide his outraged thoughts about his kind father and to recycle his scarcely less nasty impulses regarding his mother.)
Puerile: His regret at not having found, in « the six thousand pages » of the complete works, that « honest critique of capitalism » which would have filled the founder of the Université populaire de Caen with joy.
Pedantic: Pages 73 to 76, where he seriously wonders what undisclosable debts the founder of psychoanalysis may have contracted, but without wishing to admit it, to Antiphon of Athens, Artemidorus, Empedocles or Aristophanes of Plato’s Banquet.
Ridiculous: It is the page where, after some dubious reflections on Freud’s probable resort to onanism, then an equally bizarre dive into the registers of hotels–«most of them luxurious» (p. 162)–that would have sheltered his guilty love affair with his sister-in-law, Onfray, carried away by his vice squad sergeant fervor, concludes by suspecting him of having impregnated said sister-in-law at an age when this kind of blessed event very rarely occurs, except in the Bible.
The plot: It’s like in The Da Vinci Code (but, according to Onfray, isn’t psychoanalysis the equivalent of a religion?), the fantasized vision of gigantic « containers » of archives, buried deep in the basement of the Library of Congress in Washington, guarded by militias of Freudian Templars that are greedy, ferocious, and as clever as their venerated master.
And last, the valet’s point of view: It is the ever bizarre formula that consists of taking the unsubstantiated little weaknesses of the man (his habit of himself choosing — who knows why! — the baptismal names of his children « according to his own personal mythology, » his none less supposed faults (desire for glory, cyclothymia, cardiac arrhythmia, addiction to smoking, mood swings, inadequate sexual performances, fear of trains — I’m not making it up, this catalogue of « flaws » can be found on pages 102 and 157 of the book), and, if necessary, his errors (such as the autograph for Mussolini, a fact that has never been a secret but that Onfray apparently has just discovered and that, taken out of context, seems to drive him into a state of great frenzy) in order to conclude that the whole theory is invalid. Here, Onfray attains the summit at the very end when he relies outright on Paula Fichtl’s book, that is to say on the memoirs of the woman who was chambermaid to the Freud family for fifty years and then to Freud himself, to denounce the author of Moses and Monotheism’s contacts with Austrian fascism.
All this is lamentable.
It pains me, in every sense of the word, to find in this tissue of platitudes, sillier than they are malicious, the author of a few books — among them Le Ventre des philosophes (The Philosophers’ Stomach) — that seemed to me so promising twenty years ago.
Psychoanalysis, which has seen worse, will get over it. I’m not so sure Onfray will.
Bernard-Henri Lévy
Translated by Janet Lizop


http://www.bernard-henri-levy.com/for-sigmund-freud-by-bernard-henri-levy-the-huffington-post-5296.html





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